Jadis surplombant le mont Saint-Bruno, la demeure seigneuriale aujourd’hui disparue nous laisse avec bien peu d’information sur ces années de règne. L’histoire du manoir seigneurial témoigne cependant de la genèse de la Ville de Saint-Bruno.
La Ville de Saint-Bruno-de-Montarville s’élève sur le territoire de l’ancienne seigneurie de Montarville. C’est en 1710 que le gouverneur et l’intendant de la Nouvelle-France accordent à Pierre Boucher, fils du premier seigneur de Boucherville, la seigneurie de Montarville. L’attribution de cette seigneurie, située en retrait des cours d’eau principaux et plus récente que celles avoisinantes (autour de 1642), marque un tournant historique puisqu’elle est associée à une explosion démographique dans la colonie, elle-même résultante d’une période de paix.
La seigneurie de Montarville diffère des seigneuries avoisinantes. Elle se développe vers 1746, d’abord autour du potentiel hydraulique fourni par les lacs de la montagne, dans une logique plus préindustrielle qu’agricole. On y retrouve plusieurs installations : moulins à scie, moulins à farine (il y en aura jusqu’à quatre), tannerie, etc. Cependant, le seigneur de Montarville (alors René Boucher de la Bruère, fils de Pierre Boucher) n’habite pas de façon permanente dans la seigneurie. Jusqu’à sa mort, en 1774, il habite plutôt dans la seigneurie de Boucherville. Parmi la liste des installations léguées à son fils aîné (François Boucher de la Bruère), on fait mention d’une maison à la montagne, jouxtant le complexe préindustriel; il s’agit probablement là du manoir seigneurial. Subséquemment, l’héritier habitera avec sa famille la demeure de la montagne qu’il fera agrandir et rénover, entre 1807 et 1829.
Il s’agit alors de la période de l’âge d’or du manoir. Résidence permanente de la famille du seigneur, celle-ci est entourée de bâtiments secondaires. On y entaille les érables, des « chevaux y gambadent dans le pré, des vaches grasses ruminent dans les pâturages, des poules caquettent au poulailler, des dindons bavardent autour de la maison et des oies… qui tôt ou tard se laisseront plumer sans crier… s’ébaudissent sur les eaux bleues du lac[1] ».
En 1829, Boucher de la Bruère se retire chez son fils médecin-chirurgien à Saint-Hyacinthe et il se départit de l’ensemble de sa seigneurie, n’ayant personne pour lui succéder. Bien peu d’information subsiste aujourd’hui sur le sort du manoir seigneurial. Plusieurs sources stipulent que le manoir est occupé par les patriotes lors de l’insurrection de 1837-1838.
À la suite de l’abolition du régime seigneurial en 1854, un groupe d’anglophones issu du milieu des affaires montréalais achète le domaine de la montagne en 1897. Le manoir seigneurial brûle ou est démoli autour de 1903 dans des circonstances obscures. Certains le disent hanté, d’autres que ses habitants sont décédés de la fièvre typhoïde et que le feu est alors le seul moyen d’endiguer la propagation de la maladie. Plusieurs spéculent que les familles de la montagne, notamment Pease, Birks et Drummond, auraient ensuite utilisé les pierres restantes pour bâtir une partie de leurs propres demeures. On ne connaît pas l’emplacement exact du manoir, mais on le situe le plus souvent à la décharge du lac.
[1] Livre de raison des seigneurs de Montarville, p. 265.